Le régime communiste en Bulgarie dura entre le 09/09/1944 et le 10/11/1989. La Bulgarie étant proche géographiquement de l'Union soviétique, elle subit de plein fouet l'effet de cette proximité - le régime communiste fut instauré dans la violence et avec l'appui actif et à grande échelle de l'appareil politique et militaire de l'URSS (voir l'article sur Les victimes des Tribunaux populaires communistes en Bulgarie).
Cette omniprésence est encore bien visible aujourd'hui dans la capitale bulgare où trône toujours un très grand monument dédié à la gloire de l'Armée rouge libératrice. Et comme il fallut souligner cette magnificence le monument est placé au milieu d'une vaste esplanade dallée. Non, vous n'êtes pas en Corée du Nord mais à Sofia, Bulgarie, Union Européenne.
Un parmi d'autres
Malheureusement le monument à l'armée soviétique à Sofia n'est pas le seul à rappeler le passé de satellite soviétique de la Bulgarie. De tels monuments existent à Plovdiv, à Bourgas (où il trône pareillement sur la place centrale), à Stara Zagora... Ces monuments sont toujours là pour nous rappeler que le passage à la démocratie n'était qu'un virage bien négocié de la nomenclature communiste, toujours fermement au pouvoir à travers ses réseaux, ses agents fidèles et ses usages, bientôt 30 ans après la chute "presque vraie" du régime.
Présentation
Devant le monument s'étend une grande place dégagée. L'allée principale qui mène, en escaliers, vers le mémorial est longue de 80 m et large de 28 m. A l'approche l'on voit d'abord deux groupes de sculptures qui présentent des moments du cordial accueil de l'armée soviétique en Bulgarie en 1944 par la population enjouée.
Le monument principal adopte la forme d'une haute pyramide, à la partie supérieure coupée, sur laquelle s'élève une composition sculptée figurative de 8 m de hauteur. Elle présente un soldat soviétique, un ouvrier bulgare et une mère avec son enfant. Brandissant un fusil automatique, le soldat soviétique annonce la victoire sur le fascisme. La composition symbolise la libération du peuple ouvrier bulgare du fascisme avec l'aide décisive de l'Armée soviétique.
Dans la partie inférieure du monument sont élaborées des compositions en relief de chaque côté à l'excepté du frontal. Elles présentent en ordre chronologique la création, la montée en puissance et la marche victorieuse de l'Armée soviétique. Le relief oriental présente la composition "Octobre 1917". Elle met en scène marins, soldats, ouvriers et jeunes filles : tous ceux qui ont formé avec un enthousiasme révolutionnaire l'Armée soviétique. Le relief méridional présente la composition "Tout pour le front, tout pour la victoire" et montre comment l'ensemble du peuple soviétique mit tous ses efforts dans l'appui et l'aide logistique de son armée. Le relief occidental s'appelle "La grande guerre patriotique de l'Union soviétique" et montre l'avancée militaire et l'invincible puissance de l'Armée soviétique contre les agresseurs hitlériens.
Sur la façade il est écrit : A l'Armée soviétique libératrice par le peuple bulgare reconnaissant.
Historique
Le 17 avril 1947 le Conseil des ministres publie un décret signé par Guergui Dimitrov (alors premier-ministre, après sa mort sa momie embaumée reposa dans un mausolée spécial dans le centre-ville de Sofia, ouvert aux pèlerinages jusqu'à la chute du régime). Ce décret dit : "Qu'il soit construit à un endroit adapté dans la capitale de la république populaire un monument glorieux à l'Armée rouge..."
Stoyan Raïtchevski, dans son article "La vérité sur le monument à l'Armée soviétique à Sofia" insiste sur le fait que le terme Armée rouge et non pas soviétique fut employé par G.Dimitrov comme si le pouvoir exécutif voulait marquer l'importance de cette période (marquée par un règlement de comptes brutal avec l'opposition et toute personne qui pensait autrement). En effet le terme "Armée rouge" fait référence au caractère partisan et bolchevique de celle-ci dans les heures de la Révolution d'Octobre alors que c'est l'Armée soviétique qui combattit sur le front de la Seconde guerre mondiale.
C'était au ministre de l'information et des arts à qui incombait d'organiser le concours pour la construction du monument. Le comité national du Front patriotique (Otetchestven front, organisation communiste) se chargea à collecter les moyens financiers par le biais de bons distribués en échange de donations reçues lors de réunions de propagande dans des villes, écoles, usines et casernes, et lors de conférences spéciales et campagnes de propagande parmi la population. Pour appuyer la collecte le 1 octobre 1948 une circulaire du Comité central populaire (haute autorité communiste) stipula que toute organisation, civile ou d'état, devait prévoir dans son budget des sommes pour la construction du monument.
Le 11 mai 1948 le Conseil des ministres établit la date pour la première étape du concours artistique pour le projet de monument : le 1 octobre 1948. 14 collectifs d'auteurs participèrent. Les propositions initiales préconisaient comme emplacement (parmi d'autres) la place du "9 septembre" (où se trouve aujourd'hui le Palais royal de Boris III et le Musée national ethnographique). Il fut même suggéré de raser le palais afin de dégager la place nécessaire pour mieux valoriser le monument. Cela tombait d'autant mieux que l'emplacement du Palais du parti communiste était prévu dans le même périmètre (et qui existe toujours aujourd'hui, entre la Présidence et le Conseil des Ministres). La mort subite du leader Gueorgui Dimitrov chamboula ces plans car l'espace fut utilisé en urgence pour la construction de son mausolée (terminé en 48 heures).
Même si un jury fut mis en place les décisions se prenaient dans l'URSS par deux spécialistes soviétiques : le professeur sculpteur S.Aliochin et le membre de l'Académie d'architecture de l'URSS A.Guiguello. Les deux rejetèrent les 14 propositions dans le cadre du concours, qu'ils qualifièrent de "basse qualité" tout aussi bien par rapport à leur nombre que par rapport à leurs qualités artistiques. Ils furent catégoriques : "Nous considérons qu'aucun des projets du concours ne traduit par une idée forte la force et le pouvoir invincible de l'armée soviétique et ne reflète pas la gratitude du peuple bulgare..." Les deux superviseurs étaient mécontents d'autre chose aussi : aucun maître de la sculpture ou de l'architecture bulgare n'ait pris part au concours. Ils imposèrent alors un second concours avec une nouvelle liste dans laquelle ils mirent eux-mêmes les noms des participants : les sculpteurs Ivan Founev, Marko Markov, Kiril Todorov et l'architecte Danko Mitov. Ils imposèrent également l'actuel emplacement du monument, en motivant leur refus pour toutes les propositions faites auparavant. Le point commun des motifs du refus était : rien ne doit faire de l'ombre au monument soviétique ! Il doit bénéficier d'un large espace et être le seul en vue. L'emplacement est le Parc des enfants, au début du boulevard Tzar Osvoboditel.
Le monument fut inauguré le 08 septembre 1954. La date était soigneusement choisie : à la veille du coup d'état du 09/09/1944 qui instaura le régime communiste. Ainsi la Bulgarie, allié politique de l'Allemagne, se dota d'un grandiose monument à l'Armée soviétique libératrice alors que celle-ci, en 1944, proclama la guerre à la Bulgarie sur sa route vers Berlin et y entra sans tirer un seul coup de fusil. La Bulgarie, allier politique de l'Allemagne (en raison de ses espoirs de récupérer ses territoires en Roumanie du sud-est et en Macédoine, perdus suite aux traités de guerre dans la première partie du XX siècle), n'a jamais envoyé un seul soldat sur un front de l'invasion allemande.
Controverses et vie moderne
En 1993 le conseil municipal de Sofia, dominé alors par les Démocrates, vota la décision pour la suppression du monument. Les tentatives de mettre en oeuvre cette décision s'avérèrent en revanche infructueuses, l'opinion publique ne suivit pas et elle fut abandonnée. La même année le sculpteur Lubomir Daltchev, qui participa à la réalisation du monument, propose qu'il soit déplacé à un endroit plus discret au lieu de trôner dans le centre-ville de Sofia. Sans succès.
En septembre 2010 un comité citoyen se créa avec pour but le démontage du monument. Son motif principal était que d'un point du vue juridique international l'Armée soviétique ne fut pas libératrice mais conquérante et occupante. En effet, à l'époque la Bulgarie n'avait pas déclaré la guerre à l'URSS ni rompu ses relations diplomatiques. Plus encore, les troupes allemandes qui stationnaient en Bulgarie furent contraintes par le gouvernement bulgare à quitter le pays avant le 31 août 1944. C'est bien l'URSS qui déclara unilatéralement la guerre à la Bulgarie et entra sur son territoire le 05 septembre 1944. Le 09 novembre 2010 le comité organisa des manifestations devant le monument sous le slogan : Le mur de Berlin est tombé, le monument de l'occupant demeure !
A noter que toute idée de démontage rencontre aussitôt la ferme opposition de l'ambassade de la Russie, très vigilante sur le respect de ses mémoriaux de guerre à l'étranger.
Symbole pour la contestation
En 2011, dans la nuit du 17 juin, un (des) artiste(s) inconnu(s) à ce jour a/ont peint toutes les figures d'un des panneaux figuratifs à l'effigie de super-héros américains. Coup de tonnerre dans les esprits pro-russes et vent frais pour les esprits libertaires contre cette opération qualifiée de "pop-art".
En 2012 les soldats russes se sont retrouvés avec les masques d'Anonymus comme signe de protestation du groupe d'hackers éponyme contre le traité limitant les libertés Internet ACTA. Le groupe voulait ainsi dire que c'est une "armée d'anonymes" qui ira contre cet acte.
La même année quelques têtes parmi les sculptures se retrouvèrent avec les bonnets des Pussy Riot, poursuivies alors en Russie pour "provocation à l'encontre de l'ordre public".
Le 1 février 2013, jour de commémoration des victimes du communisme, 3 figures furent peintes avec les couleurs du drapeau national bulgare.
Dans la nuit du 21 août 2013 des figures sont peintes en rose et apparaissent les phrases (donc une écrite en tchèque : La Bulgarie s'excuse !) : Faites des excuses ! et Prague 68. Elles font référence à l'invasion soviétique en Tchécoslovaquie en 1968 à laquelle participa aussi l'armée bulgare. La couleur rose est la même que l'artiste tchèque David Tcherni utilisa à Prague pour peindre le monuments des tankistes russes. Cette fois la Russie s'indigna officiellement et appella à trouver et punir les coupables tout en demandant aux autorités bulgares de prendre des mesures afin de prévenir des tels actes à l'avenir.
Le 23 février 2014 le monument se retrouva avec un soldat de la composition peint dans les couleurs du drapeau ukrainien alors que la crise en Ukraine battait son plein, sur un fond politique où la Russie prétendait ne pas participer et qui fit l'invasion de Crimée une semaine d'après. La photo du monument aux couleurs ukrainiennes fut mise en avant ce jour par la chaîne de télévision Euronews comme "Photo de la journée". Le Ministère des affaires étrangères de la Russie envoya aussitôt une note de protestation à la Bulgarie et exigea que les auteurs soient identifiées et que le mémorial soit remis en état.
Néanmoins le 2 mars suivant une nouvelle inscription apparut : Bas les mains de l'Ukraine ! et le titre du monument "A l'armée soviétique libératrice par le reconnaissant peuple bulgare" fut barré.
Le 12 avril de la même année une nouvelle peinture est faite, cette fois d'un soldat polonais brandissant le drapeau bulgare et un soldat aux couleurs ukrainiennes à ses côtés, accompagnée par l'inscription KATYN, 5 III 40 (faisant référence aux massacres des officiers polonais par l'armée soviétique).
Espace de jeu
Le dallage lis de la place devant le mémorial est l'un des lieux préférés pour les amateurs de skateboard. Des installations mobiles ont contribué à attirer des jeunes qui tentent des mouvements et des figures, en skate ou en vélo.