Dans le train Sofia - Vidin
Embarquez sur la ligne Sofia - Lom / Vidin pour un voyage haut en couleurs (et en odeurs !) à travers le Balkan vers le nord-ouest de la Bulgarie !
Monter dans ce train est sans doute une des façons pittoresques pour découvrir la Bulgarie, avis à tous ceux qui ont soif du "vrai" et de "l'authentique" et surtout des "vrais gens" ! Outre les paysages somptueux du Balkan, vous ferez probablement des rencontres cordiales !
Il s'agit peut-être de la ligne ferroviaire la plus chargée, avec ses pics d'affluence les vendredi et les dimanche soir, lorsque les personnes originaires des régions de Vratza, Montana, Lom et Vidin quittent la capitale pour revenir chez leurs parents et proches.
Ce train n'a rien à envier au métro de Tokyo. Lors de certains départs les voyageurs sont entassés telles des sardines, remplissant compartiments (les voitures des trains bulgares sont majoritairement organisées par compartiments de 8 personnes), couloirs, toilettes et ponts de passages. Un milieu dense (et hostile) dans lequel le contrôleur arrivera à frayer son chemin à coups de "pardon", "bougez un peu !" et "s'il vous plaît", tel un explorateur aventurier. Une mesure de bon sens consiste dans l'achat d'une "place réservée". Les trains bulgares fonctionnent sur le principe du placement libre, excepté l'achat des dites places et les trains classés "Express". Dans celui-ci rares sont les passagers qui n'en achètent pas une.
Le plus intéressant dans ce train ce sont ses voyageurs, essentiellement représentants de deux catégories : étudiants et paysans. Les paysans-eux se divisent à des gens qui ont un contact régulier avec le milieu urbain et à d'autres qui sont de véritables enfants de la campagne pour qui aller à Sofia relève de l'aventure. Les étudiants eux, ils rentrent.
Les gens de la campagne sont plus cordiaux et communicatifs que les urbains, habitués à l'anonymat. Le train n'est pas encore parti que des conversations animent les compartiments, les connaissances sont déjà faites et les débats ou échanges d'expériences de la vie s'ensuivent. Les étudiants et les rares vrais citadins regardent tout cela d'un œil de citadin amusé et parfois un peu hautain. Ils ne participent pas, sortent un journal ou un livre et pointent leur nez dedans avec tout le sérieux dont ils sont capables. Néanmoins l'on ne les voit pas, excepté pour les plus aguerris, perdurer dans leur lecture, prêtant une oreille attentive (mine de rien) aux vives discussions des autres.
Le train suit le trajet Sofia - Svogué - Vratza - Vidin ou Lom (en détachant une partie de la composition à la gare de Broussartzi). Il est dans la catégorie "trains rapides" mais il lui faut plus de 3h30 pour parcourir les 160 km jusqu'à Lom (4h vers Vidin). La raison pour une telle durée réside d'une part dans la structure du réseau ferroviaire dénuée de tracés à haute vitesse et d'autre part dans le relief très sinueux représentant quasi la moitié du trajet.
Une chansonnette du début du 20e siècle fredonnait "Dans un wagon pour chevaux, je voyage de Sofia vers Lom...". C'est toujours d'actualité, surtout les vendredi soir d'été.
Une fois quitté la gare de Sofia, le train s'engage à travers le "champ de Sofia", en direction du nord, vers les contreforts du Balkan. Le relief s'élève doucement et le terrain champêtre cède place à la montagne. La ligne ferroviaire passe via le col d'Iskar, en suivant la rivière. La traversée commence à la gare de Novi Iskar et s'achève à l'approche de la gare de Mezdra. Il faut 45 minutes pour que le train atteigne son premier point d'arrêt : la petite ville de montagne Svogué. Jusque là, les paysages ne présentent pas un grand intérêt. Mais à partir de Svogué l'on peut se coller à la fenêtre ( les fenêtres des trains bulgares s'ouvrent ! ) pour profiter d'un véritable tour de voyage.
Les paysages majestueux se succèdent au fil des tunnels (il y en a 22), découvrant de hautes vallées, défilés, villages perchés. Par endroits Iskar a creusé les roches formant ainsi de magnifiques passages tortueux, au pied de pans rocheux imposants. Le gris, le rouge, le blanc, l'ocre - les couleurs de la roche changent et s'entremêlent. Un paysage rocheux abrupte disparaît à l'entrée d'un long tunnel et à la sortie - changement du décor avec des versants boisés (aux mille couleurs en automne), la réapparition de la rivière plus calme.
Les entrées et les sorties des tunnels font aussi partie intégrante du voyage, à leur façon. La lumière n'étant pas toujours branchée dans les voitures, les voyageurs se retrouvent soudainement plongés dans un noir à la couleur d'encre et provoquant un silence respectueux devant l'apparition subite de ce trou noir.
A la sortie du col d'Iskar le train file en direction de Vratza (40 min. environ). Les paysages de plaine s'installent. Le Balkan lui reste à votre gauche, impérieux. Il disparaîtra des fenêtres après avoir quitté Vratza. A l'approche de cette dernière le voyageur peut observer des vestiges de l'industrie lourde de la période communiste, notamment les usines chimiques Himko.
En continuant vers le nord-ouest le paysage est régulièrement parsemé de vestiges de la désolation : anciennes fabriques, coopératives agricoles démantelées. Les squelettes des bâtiments, dépouillés de leurs briques ou mi-effondrés sont autant de tristes images témoignant d'un pays socialement et économiquement ravagé par sa transition non-avenue et les choix de ses politiciens.
Aux alentours de Vratza les habitués cherchent leurs repères, comme le mont Vola et la grande croix qu'y est érigée en mémoire de Hristo Botev. La moitié du train se vide à son arrêt, occasion pour ceux qui restent de se trouver enfin une place assise et aux déjà assis de mieux prendre leurs aises. Les conversations reprennent de plus belle. Au fur et à mesure des arrêts dans les villages les passagers descendent et le train se vide petit à petit. Arrivé à sa destination finale Vidin ou Lom, il n'y a plus grand monde dedans.
A la descente vous éprouverez une envie irrésistible de prendre un bain ! L'on surnomme ce train "le convoi gras", pour cause de la poussière qui s'y encastre depuis des années, d'une part, et pour une partie de ces passagers qui prennent un bain à des moments clés de l'année uniquement !
Néanmoins c'est un beau trajet de tourisme, pour la couleur du voyage à la fois à l'extérieur et à l'intérieur du train. Il y a un siècle le grand écrivain et humoriste bulgare Aleko Konstantinov publia un feuilleton intitulé "Comment ? Vous dites la Suisse ?..." où il décrit avec son talent inimitable la beauté naturelle et l'inspiration provoquée par la traversée du Balkan à bord de ce train.