Mon nom n'est pas Guéorgui Benkovski. Je m'appelle Gavril Grouev Hlatev, né à Koprivchtitza. Jusqu'à maintenant je cachais mon lieu de naissance et ce nom puisque je croyais dans cette phrase que personne n'est prophète en son pays. J'étais d'abord artisan, j'entrepris divers commerces, j'ai voyagé à Constantinople, en Asie, en Egypte et autres mais je ne pus rester à aucun endroit. Dieu ne m'a pas donné les avantages qu'il faut avoir chaque commerçant. Le principal était qu'il fallait que je mente à droite et à gauche pour réussir dans les affaires commerciales; il fallait que je m'incline bien bas aux Turcs, que je prenne le droit de l'autrui et autres choses que mon âme ne pouvait accepter en aucune manière. Tout cela j'ai balayé de la main et je suis passé en Roumanie pour chercher une vie plus libre et aisée. Là-bas j'ai pu faire connaissance avec quelques hommes libres et ceci fut la raison pour que je revienne dans la patrie sous un faux nom. Que celui d'entre-vous qui restera vivant, qu'il raconte qui j'étais lorsqu'il sera question de notre oeuvre...Confession de Gueorgui Benkovski devant ses camarades, 3 jours avant son assassinat le 12 mai 1876
Georgi (se prononce Géorgui) Benkovski, de son vrai nom Gavril Hlatev, est l'un des grands personnages de l'insurrection d'Avril 1876 qui, à la suite de son matage dans le sang, a conduit à la guerre russo-turque pour la libération de la Bulgarie, 1877-78. Benkovski tient la plus haute place dans le panthéon national, à côté de Vassil Levski, Hristo Botev, Georgi Rakovski, Panaïot Hitov et autres grands noms des luttes pour la reconquête de l'indépendance bulgare.
Benkovski est né à Koprivchtitza en novembre 1843 dans la famille de l'artisan et commerçant Grouïo Hlatev. Son père décède lorsqu'il a seulement 5 ans et la survie de la maison est assurée par sa seule mère. Pour cette raison Gavril (eq. de Gabriel) quitte l'école encore adolescent pour se consacrer à l'apprentissage d'un métier, en l'occurrence la couture et la confection de tissus en laine. A 23 ans il dispose déjà d'une bonne réputation de commerçant de tissus, voyageant pour son commerce dans toutes les contrées de l'Empire ottoman. A l'instar d'autres jeunes gens cultivés de son époque il avait de la peine à regarder son pays, la Bulgarie, peinée dans un empire ottoman rétrograde alors l'Europe occidentale chevauchait sur le progrès industriel et intellectuel. Il décide alors de quitter ses activités et de se consacrer à l'idée révolutionnaire.
En 1875 il part pour Bucarest, Roumanie, qui est à cette époque le centre de l'émigration révolutionnaire bulgare. Pendant la même année se déclare une grande insurrection en Bosnie et Herzégovine. Le Comité révolutionnaire central bulgare décide alors de commencer la préparation pour une lutte armée et organisée en Bulgarie. Un plan commando est imaginé au début - un petit groupe de 30-40 personnes mené par Stoyan Zaïmov est chargé de commettre un attentat contre la personne du sultan Abdul Azis et ensuite d'incendier Istanbul. Des explosifs et des matériaux inflammables étaient placés à des endroits stratégiques à Instanbul. Ils devaient être mis à feu à l'aide de rats enflammés qui passeraient à travers les conduits des bâtiments. L'idée de cette action visait à attirer l'attention des puissances européennes sur la situation des Bulgares. Alors que le groupe s'apprêtait à mettre en oeuvre son plan, en Bulgarie éclate l'insurrection de Stara Zagora. L'attentat d'Istanbul est annulé. Afin qu'il regagne Bucarest, Gavril Hlatev se sert du passeport du révolutionnaire polonais Anton Benkovski. Pour pouvoir entrer dans l'anonymat, il change son prénom de Gavril à Georgi et garde le nom de famille de Benkovski avec lequel il demeurera dans l'histoire bulgare.
En 1876 Benkovski est promu assistant de l'Apôtre (ainsi étaient nommés les responsables révolutionnaires) de la 4e section révolutionnaire Panaïot Volov. En janvier 1876 ils passent le Danube et entreprennent l'organisation révolutionnaire dans leur section régionale. Volov est rapidement convaincu des qualités de Benkovski et lui transfère ses pouvoirs. Georgi Benkovski entreprend une activité intense dans la région de Pérouchtitza, Klissoura, Poïbréné, Metchka et même plus loin jusqu'à Pechtéra, Bratzigovo et Samokov. Grâce à sa nature énergique qui privilégie l'action devant la parole il parvient à réunir de plus en plus d'adeptes pour un soulèvement. Il défend âprement l'idée qu'avant d'attendre une aide extérieure pour une possible libération il faut avant tout s'atteler soi-même pour reconquérir sa liberté.
Après la traîtrise des plans révolutionnaires Todor Kablechkov se voit obligé de déclarer l'insurrection sans plus attendre. Elle éclate le 20 avril 1876 à Koprivchtitza où Kablechkov écrit la Lettre de sang appelant à la levée immédiate des sections révolutionnaires. Benkovski, à la tête de la cavalerie des insurgés, se lance aussitôt dans le feu de l'action. Sans relâche il chevauche avec ses cavaliers de village en village, aide l'organisation de la défense, engage les premiers combats au mont Eledjik et assure le renfort là où il y en a besoin.
Les moyens des insurgés sont dérisoires. La grande majorité des participants sont des paysans qui n'ont jamais tenu une arme, les armes manquent et beaucoup sont armés avec leurs faux ou des fusils très anciens. Avant que l'armée régulière turque puisse atteindre les régions rebelles les insurgés, tout comme la population civile, sont rapidement cernés par les bachi-bouzouk : des bandes de brigands turques, qui les massacrent avec une violence inouïe (ex. le carnage de Batak). Benkovski, qui observe cette terrible tragédie, sait dès le départ qu'une telle rébellion est vouée à l'échec. Mais sa vision est autre. Il dira :
"Mon but est désormais atteint. Dans le coeur du tyran j'ai ouvert une plaie si profonde qu'elle ne guérira jamais !"
Benkovski échappa aux arrestations et aux rafles, ayant trouvé refuge dans les montagnes avec quelques uns de ses acolytes. Piégés dans le Balkan, les rescapés ne peuvent se déplacer sans l'éventualité d'être capturés par les nombreuses patrouilles à la recherche de fugitifs. Ils entrent en contact alors avec un certain Valyu, Bulgare, qui s'engage à les conduire par des sentiers cachés afin qu'ils quittent la zone du Balkan de Tétéven. Le 12 mai 1876 Valyu les mène tout droit sur une embuscade de bachi-bouzouk, organisée sur le passage d'un pont de la rivière Kostina. Valyu prit soin d'indiquer au préalable quelle allure avait Benkovski et la première salve qui le visait tout particulièrement le tua sur le champ. Des quatre insurgés seul Zakhari Stoyanov arriva à s'échapper, en tombant du pont et réussissant à se cacher, profitant de la ruée sur le corps de Benkovski. Plus tard Zakhari Stoyanov, futur président de l'Assemblé nationale, écrira les Notes sur les insurrections bulgares, le livre le plus détaillé sur les années révolutionnaires ayant abouties à l'Insurrection d'Avril 1876.
Aujourd'hui Georgi Benkovski vit plus que jamais dans la mémoire collective des Bulgares. Un grand nombre d'écoles portent son nom ainsi que l'École supérieure de l'armée de l'air. La maison natale de Benkovski est transformée en musée, ne manquez pas de la visiter si vous allez à Koprivchtitza.
Le mémorial de Georgi Benkovski à Koprivchtitza :