3 mars - fête nationale de la Bulgarie
La fête nationale de la Bulgarie est le 3 mars. Cette date commémore la signature du traité de San Stefano le 3 mars 1878, proclamant un état souverain bulgare à la suite de la guerre russo-turque pour la libération de la Bulgarie.
Pour beaucoup de Bulgares le 3 mars est synonyme de Jour de la libération de la Bulgarie du joug ottoman. Toute une série de célébrations officielles tiennent lieu durant la journée, parachevée par une revue des armées suivie d'un feu d'artifice militaire (appelé Zarya).
Pourquoi le 3 mars ?
Souvent la question se pose : pourquoi le 3 mars, tandis que d'autres dates illustres peuvent clamer le statut de fête nationale (comme l'Union de la Bulgarie par exemple, le 6 septembre 1885, ou encore le 22 septembre 1908, jour où le knyaz Ferdinand proclama l'indépendance de la Bulgarie de l'empire Ottoman) ?
La réponse est que le 3 mars 1878 s'est effectué le premier pas important pour la reconnaissance et le rétablissement de la souveraineté bulgare, perdue 5 siècles auparavant (en 1396), sous la conquête ottomane en Europe.
Malgré une victoire militaire sans appel la Bulgarie eut beaucoup de mal à sauvegarder les acquis de cette nouvelle liberté sur l'échiquier politique international. Cette libération ne fut qu'un élément à faire valoir dans jeux de pouvoir opposant les grandes puissances de l'Europe occidentale et la Russie.
Avant tout, le 3 mars 1878 symbolise un nouveau commencement pour les Bulgares et la réapparition de la Bulgarie sur la carte politique internationale.
Le chemin difficile vers une libération
Depuis la chute des royaumes bulgares sous les assauts des Ottomans, en 1396, les Bulgares (aidés parfois par d'autres pays) ont multiplié les tentatives de retrouver la souveraineté nationale à travers des insurrections, guerres et sursauts révolutionnaires. Rien n'y a fait, l'empire Ottoman étant immensément grand et tout aussi puissant a toujours fini par asseoir son autorité. Jusqu'à l'étouffement très sanglant, à l'aide des bachibouzouk, du grand soulèvement populaire d'avril 1876. Des milliers de personnes ont été massacrés à Batak, dont la majorité étaient non pas des insurgés mais des paysans dont un grand nombre de femmes et enfants). Les cadavres et la puanteur qui émana perdura ces mois durant après ces événements.
Cet épisode de l'histoire provoqua un véritable tollé dans les milieux progressifs européens. Des tribunes, des comités de soutien se forment en toute l'Europe. En France, ce fut Victor Hugo qui parla de "ce peuple qu'on assassine", mais aussi Emil Zola, Garibaldi en Italie, Charles Darwin et Oscar Wild en Angleterre, Dostoevski en Russie... La question politique de la situation des Bulgares devint brûlante. L'empire ottoman était un allié de l'Angleterre et de la France de longue date, néanmoins la situation des chrétiens ou, plus généralement la question des droits de l'homme, préoccupait régulièrement les milieux politiques.
La tragédie bulgare provoqua aussi une véritable émotion populaire en Russie. La question occupa l'opinion publique et les dirigeants russes se trouvèrent l'occasion propice pour lancer une nouvelle guerre avec la Turquie qui les mènerait éventuellement sur les mers chaudes. Vaincue dans la guerre de Crimée (1856) par l'empire Ottoman et ses alliés (France, Angleterre et l'Autriche-Hongrie) la Russie est prête pour une nouvelle campagne militaire. Les Russes avaient déjà activé leurs diplomatie, surtout après l'éclatement d'insurrections en Bosnie et Herzégovine, afin de régler "La Question de l'Est". L'action diplomatique russe se conclut par la tenue d'un sommet diplomatique à Constantinople (Istanbul) mais les diverses propositions d'arrangement essuyèrent des refus de la part l'empire Ottoman.
La Russie, qui se positionne dans sa politique extérieure comme un protecteur des chrétiens d'Europe orientale vit alors dans l'incident bulgare une belle occasion d'aller plus loin et d'engager une action militaire justifiée. L'enjeu principal étant d'obtenir un accès maritime sur les mers dites chaudes, au sud de la péninsule balkanique.
Le rapport du ministre de la guerre russe Milyutin, adressé au tsar Alexandre II, est explicite :
"L'issue de la Conférence de Constantinople a clairement démontré qu'une action commune de l'Europe pour influencer la Turquie est impensable. Le consentement passif des européens est prêt pour sacrifier le destin des chrétiens des Balkans. Mais il faut ne pas nous cacher l'importance et le danger de cette situation. L'impuissance de l'action collective européenne ne feront qu'encourager la Turquie et transformeront ce pays affaibli en une arme terrible contre nous... Nous ne saurons pas supporter les attaques incessantes envers notre dignité et nos intérêts matériels, jusqu'à ce qu'il ne reste plus trace de notre influence dans les Balkans.... "
Pour autant, au sein de la diplomatie russe, des divergences existent. Le premier-ministre Gortchakov est opposé à une implication de la Russie dans un nouvel conflit. Il écrit : "Nos intérêts du moment demandent une conservation de l'entité territoriale de la Turquie et non pas son affaiblissement. Nous aiderons les chrétiens des Balkans pour soulager leur sort en œuvrant avec diplomatie auprès de la Grande Porte mais n'approuverons en aucun cas, et encore moins tolérerons, des soulèvements et des insurrections contre leur maître légitime - le sultan."
Après des débats très animés lors de la réunion du Conseil du roi, le point de vue et les motifs exposés par Milyutin penchèrent la balance et la décision d'entrer en guerre est prise le 12 avril 1877. A la Russie vont se joindre la Roumanie, la Serbie, le Monténégro et la Finlande. Cette guerre sera la 13ème qui opposera les Russes aux Ottomans.
En seulement 8 mois les troupes russes occupèrent toute la Bulgarie et firent une marche victorieuse sur Istanbul. Aux portes de la capitale turque, la France et l'Angleterre, jusqu'alors simples observateurs, menacèrent d'entrer elles aussi dans la guerre pour soutenir l'Empire ottomane. Il était primordial pour ces deux puissances occidentales de ne pas laisser aux Russes ce qu'elles avaient : l'accès maritime sur la Méditerrané et le transit vers la mer Noire. La marine royale anglaise était déjà en état de guerre dans le port de Constantinople.
La signature du traité de San Stefano le 3 mars 1878
Ainsi, sous la menace d'une guerre dans la guerre, le 3 mars 1878 les Russes et les Ottomans se rencontrèrent dans le petit village de San Stefano, à 12km d'Istanbul, pour signer un traité de paix et décider du sort des territoires bulgares. La "question bulgare" fut considérée dans les points 6 à 11. Ils prévoyaient que la Bulgarie devînt une principauté tributaire du sultan et non pas un état pleinement souverain. Elle devait avoir un régent chrétien et organiser sa propre force armée.
Les frontières furent délimitées en fonction des territoires sous l'autorité de l'église bulgare, définis par ferman (ordre executif) du sultan en 1870. Ils comprenaient la Bulgarie du nord (la plaine du Danube), toute la région de Thrace (excepté les zones de Komotini et Edirné), la Macédoine (excepté la ville de Thessalonique et la péninsule Halkidiki). La superficie de la Bulgarie fut ainsi établie à environ 170 000 km² . Elle fut néanmoins rapidement réduite car les clauses du traité allaient être révisées par la diplomatie russe au détriment des Bulgares.
Juste avant la signature du traité, au dernier moment, le chargé de négociation russe - le compte Ignatiev, reçut une dépêche chiffrée du premier-ministre Gortchakov. Celui-ci lui ordonnait d'assigner une clause de "projet" au traité. Le compte Ignatiev écrivit plus tard à ce propos : "Entre moi et Gortchakov existera toujours un abysse. Alors que je menais à Constantinople une politique pour la libération de tous les slaves du joug ottoman, à Saint Péterbourg ils distribuaient avec aisance des terres slaves à l'Autriche... Gortchakov était contre le traité de San Stefano... comme si ses points de vue reflétaient ceux de l'Angleterre et non pas les nôtres. Il m'ordonna moyennement une instruction spéciale de conférer au traité de San Stefano un caractère préliminaire, uniquement parce que l'Autriche avait des objections et avait l'intention de réunir une conférence européenne pour régler définitivement la question".
La diplomatie russe jouait un jeu qui restait en partie secret pour une partie de ses propres ambassadeurs. Le compte Ignatiev n'était pas au courant des arrangements que la Russie avait conclu avec l'Autriche et l'Angleterre. Et il n'est pas le seul. L'ambassadeur russe à Londres, le compte Chuvalov, réputé d'être le meilleur diplomate russe de son temps, fut aussi dans l'incompréhension. Il sut que la Russie donna son accord pour que la Bulgarie eût été divisée mais ne comprit pas le bluff diplomatique de dernière minute concernant le traité de San Stefano. Il écrit : "Le traité de San Stefano est un désastre pour nous... C'est le plus grand malentendu qu'on puisse faire. Maintenant nous serons contraints de faire des concessions devant toute l'Europe."
En conséquence le traité de San Stefano fut une sorte de pro-forma, qui donna lieu à la tenue d'un sommet à Berlin. Ce sommet morcela encore plus la Bulgarie et resta dans les annales comme Le congrès de Berlin. Dans les notes du premier-ministre Gortchakov, extraits de son archive personnel, l'on peut lire :
"La faiblesse intérieure de l'Etat ne nous donne pas à croire qu'on puisse défendre par la force les conquêtes réalisées pendant la guerre. Je considère dès le début qu'un traité préliminaire avec les Turcs est un pas tactique utile qui correspond à la stratégie russe concernant la Question de l'Est. La Russie a pu démontrer sa bonne volonté envers les peuples des Balkans, et en particulier envers les Bulgares, et se positionner comme un défenseur de leurs intérêts. Ainsi nous garderons notre réputation de pays protecteur. En ce qui concerne sa future abolition (du traité) sous la pression de nos adversaires occidentaux, ça sera d'autant mieux pour la Russie car cette démarche nuira à leur influence dans les Balkans et renforcera d'autant plus la nôtre."
En aboutissant au traité de San Stefano le gouvernement russe atteignit son objectif - une guerre victorieuse et un succès proclamé par la signature d'un traité de paix. La Russie "fournit" des preuves tangibles d'amitié aux Bulgares, lesquels ignorèrent les coulisses de ce traité et crurent sincèrement que la Russie s'est "battue jusqu'au bout". Ils se doutèrent encore moins de la révision imminente de ce traité. Tous les aspects négatifs qui en découleront plus tard seront à mettre sur le compte des puissances occidentales et l'aura de la Russie libératrice serait durablement instauré.
Le congrès de Berlin le 13 juin 1878
3 mois à peine passés, le Congrès de Berlin s'ouvra pompeusement le 13 juin 1878 en présence de la Russie, de l'Angleterre, de l'Autriche-Hongrie, de la France, de l'Allemagne et l'Empire Ottoman. Les délégations furent menées par Gortchakov (Russie), lord Disraeli (Angleterre), le compte Andrashi (l'Autriche-Hongrie), le chancelier Bismark (Allemagne), le ministre des affaires étrangères William Henry Waddington (France) et deux pachas du côté ottoman.
L'accord signé mit en place un nouveau découpage territorial. La Bulgarie fut divisée en 3 parties : Principauté de Bulgarie (au nord du Balkan, toute la plaine du Danube), la Roumélie orientale (territoire autonome sous autorité de l'Empire Ottoman) et la Macédoine qui fut restituée aux Ottomans.
Ce fut un véritable choc pour les Bulgares mais ce n'était que la conséquence logique d'une politique des grandes puissances qui régissaient les sorts des peuples des Balkans en fonction de leurs propres intérêts géopolitiques. Ce ne fut d'ailleurs pas uniquement la Bulgarie qui essuya un tel revers : les Serbes se battirent près de 20 ans pour obtenir leur indépendance de l'Empire Ottoman pour ne retrouver qu'un tiers de leur territoire ethnique. Les Grecs menèrent une guerre ravageuse pendant 8 ans avec les Ottomans (1821-1828) qui résulta également dans la reconstitution de seulement un tiers de leur territoire ethnique. La Roumanie mit elle aussi des décennies dans sa lutte pour n'arriver qu'à obtenir la moitié de son territoire ethnique.
Compte tenu de ce contexte les Bulgares pouvaient quelque part s'estimer chanceux, puisque après le morcellement du territoire la nouvelle Bulgarie réunit tout de même deux tiers des populations bulgares, même si une bonne partie fut rattachée administrativement à l'Empire.
Les Bulgares ne renoncèrent pas - par force et courage populaire s'ensuivit l'Union de la Principauté de Bulgarie et la Roumélie orientale en 1885. La guerre Balkanique fut lancée en 1912 afin de récupérer les territoires du sud (voir article sur la bataille de Doïran).
Pendant la Seconde guerre mondiale la Bulgarie s'allia à l'Allemagne pour la seule raison de pouvoir récupérer la Macédoine (sans jamais fournir un effort de guerre en soutient de l'Allemagne nazie). Ce dernier effort toucha à son terme avec l'occupation de la Bulgarie par l'Union soviétique et l'instauration du régime communiste. Certains diront que l'entêtement pour récupérer la Macédoine coûta à la Bulgarie bien plus qu'elle eût gagné à s'y abstenir.
Le symbole
Si les Bulgares ont instauré le 3 mars en fête nationale c'est essentiellement pour sa signification hautement symbolique. Le 3 mars 1878 marqua un renouveau de l'Etat bulgare. La Bulgarie renaissait de ses cendres, retrouvant le chemin de la souveraineté et de l'avenir.