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Koukéri

La fête populaire Koukeri (Кукери) est une des plus anciennes célébrations rituelles festives parvenue à nos jours depuis l'Antiquité, bien avant que les Bulgares ne s'installent sur la Péninsule des Balkans et fondent leur état. En effet, il s'agit d'une ancien rituel des Thraces relayé jusqu'à aujourd'hui.

Les hommes revêtent d'épaisses fourrures de chèvre (ou mouton), portent un masque horrifiant et agitent une ceinture de cloches de bétail qui produit un son tonitruant. Les déguisements varient de région en région, tout comme la période pendant laquelle la coutume se déroule. Dans certaines parties de la Bulgarie les Koukéri ressortent aux alentours du Nouvel An (et janvier) mais en général la plupart des Koukéri tiennent lieu au début du printemps.

Koukerovden (Le jour des Koukeri)

Ce jour des hommes portant des costumes très originaux dont l'élément central est le masque monstrueux investissent les rues et la place centrale du village.  A l'aide de leur apparence et de leur danses magiques au son des dizaines de cloches attachées à leurs ceintures ils chassent les mauvais esprits et la mauvaise fortune afin que l'année à venir soit bonne et la terre fertile.

La première étape rituelle consiste à faire le tour des maisons pour formuler des vœux de prospérité et bonne santé à leurs habitants, en collectant en retour des cadeaux (farine, œufs, haricots...). Chaque visite de maison donne lieu à un spectacle improvisé où fusent farces et s'enchaînent des situations comiques. Puis les Koukeri se réunissent sur la place centrale où ils s'adonnent à des danses en faisant un maximum de bruits avec leurs cloches. Dans la région de Strandja ils vont aussi se mettre spontanément à la chasse des spectateurs et vont essayer de leur donner une forte tape dans le dos avec leur épée en bois. Ce geste vise à chasser la mauvaise augure de la personne.

La seconde étape consiste dans le labourage et l'ensemencement rituel de la terre. La figure centrale ici est le roi, généralement le villageois le plus beau et prospère, si possible père d'un premier fils ou à des jumeaux (pour conjurer la fertilité). Une table festive peut être organisée sur la place centrale. Le roi goûte trois fois du pain ou des mets, bois du vin et formule des vœux de bonne santé, bonne fortune et fertilité. Ensuite il prend place derrière le labour, tiré par des Koukeri attelés dedans, et creuse trois sillons en cercle puis les ensemence.

Ensuite les Koukeri tuent symboliquement le roi avec sa propre arme, après quoi il ressuscite. Dans une variante répandue le roi n'existe pas, son personnage est occupé par un jeune marié (et sa femme, jeune mariée). Dans cette version les Koukeri tuent le jeune homme puis volent son épouse, ensuite il ressuscite et ils se réunissent à nouveau. Le jeune marié porte une boite dans laquelle tout le monde met une pièce.

Dans la région de Strandja la fête Koukéri se termine par les festivités du mariage du Roi et de la Reine. Tout le monde se réuni autour de longues tables et se tient lieu, en plein air, un grand dîner populaire. Il clos l'événement.

Ceci est l'une des représentations génériques parvenues jusqu'à nos jours du rituel Koukeri. Mais en réalité, il s'agit de la reconstitution d'un mythe de l'Antiquité, celui de Zagrée, profondément ancré dans l'inconscient culturel collectif des héritiers des Thraces.

Le mythe de Zagrée

Zagrée (ou Zagreus /  Ζαγρεύς) est l'un des dieux les plus importants dans le panthéon thrace, occupant également une haute place dans le panthéon grec puisqu'il s'agit du premier Dionysos (Zagrée-Dyonisos).

Selon le mythe il fut le fils de Zeus. Zeus prit la forme d'un serpent lors de la conception avec Perséphone. Zeus désigna ensuite l'enfant né (Zagrée) pour son héritier et lui donna même sa foudre pour qu'il joue avec. Zagrée fut placé sous la surveillance d'Apollon et des CurètesLes Moires, cependant, ne voyaient pas les choses ainsi et ils éveillèrent la jalousie de Héra qui envoya les Titans pour assassiner Zagrée. Le petit Zagrée se mit à fuir, réussissant à échapper aux Titans grâce à ses transformations, mais fut finalement rattrapé, déchiqueté et mangé par les Titans lorsqu'il avait pris la forme d'un taureau. Le corps de Zagrée fut démembré en sept morceaux par les Titans - la tête, les bras et les jambes, le phallus et le cœur. Le cœur fut sauvé par Athéna et le reste par Apollon qui l'enfouit sous le trépied de Delphes (d'ou ressuscita le dieu démembré, la naissance du second Dionysos).

Les sept pièces du corps démembré de Zagrée sont symbolisés par sept objets sacrés.

Le premier est le cône, en lieu du phallus, le plus souvent prenant forme de pomme de pin.

Le second est le losange, symbole orphique revêtant plusieurs interprétations mythiques (la tonnerre, le mouvement tumultueux des vents, la vision terre / feu, le carré (encore la terre)).

Le troisième objet est l'astragale (os, utilisé pour des jeux), symbolisant le cube / la terre (dans le mythe le petit Zagrée jeux à l'astragale lorsque les Titans aiguisent leurs couteaux).

Le quatrième sont les mèches / pelotes de laine, qui peuvent être interprétées comme des symboles de la toison d'or mais aussi comme un attribut des Moires (les divinités du Destin).

Le cinquième sont des des jouets / poupées avec des parties mobiles qui symbolisent le démembrement du dieu-taureau.

Le sixième est la sphère - la Terre entourée de l'Air (le couple Ouranos / Gaïa, Fils / Mère).

Le septième et dernier objet est le miroir à l'aide duquel Zagrée, le chasseur tout puissant, attrape instantanément tout ce qui vit et tout ce qui est mort.

Le mythe de Zagrée est enraciné dans plusieurs grands rituels populaires dont l'un est Koukeri (les autres sont Nestinari, Pessi Ponedelnik, les jours de célébration des saints chrétiens Elie, Saints Constantin et Hélène).

L'implication du mythe dans le rituel Koukeri

Le dieu antique, composé de 7 pièces, est toujours célébré aujourd'hui par les populations bulgare et grecque de Strandja pendant le rituel Koukeri. Il prend la forme du Kouker Blanc. Le jeune dieu apparaît habillé en sept peaux de moutons qui après la fin du rituel seront enterrées selon les quatre sens du monde. Il porte son thyrse (un grand bâton évoquant un sceptre, le premier objet)), à la tête d'une troupe de compagnons armés (les Curètes), et fait le tour du village.

Sur la place centrale il jouera les épisodes principaux - l'accouplement avec la Grande-mère (la Déesse-mère) et la naissance du Loup (Zagrée, une de ses manifestations), la mort du dieu et la résurrection, insufflée par la Grande-mère, le jeu avec le miroir, le labour symbolique avec des Koukéri déguisés et attelés en guise de bœufs puis l'ensemencement sacré.

A travers la danse le Kouker Blanc et sa troupe chassent les mauvais esprits non seulement des maisons du village mais aussi du corps des chiens (qui symbolisent le loup, une manifestation de Zagrée). Le rituel de purification des chiens consiste à les attacher par le cou avec une corde puis les faire tourner dans l'air le plus rapidement possible alors que la Grand-mère tisse trois fils de laine au-dessus de l'eau courante (donc cette partie du rituel prend souvent partie sur les berges de la rivière). Ce rituel en particulier s'avère extrêmement choquant pour les défenseurs des animaux, ARTE en avait consacré une émission entière, en mettant l'accent sur la pratique sauvage. Le rituel apparaît donc comme un acte vulgaire peu compréhensible. La pratique doit être, en réalité, terrifiante pour les chiens. Il n'en meurent pas ni en sortent estropiés. Ce rituel précis s'appelle Pessi Ponedelnik.

Pour revenir sur la suite du rituel, notons les jouets et les poupées, ainsi qu'une figure centrale qui est une femme avec voile sur la tête, couronnée par un phallus. Cette figure de femme représente aussi la nature de Zagrée, composée de sept éléments mais aussi la bivalence de l'accouplement Mère-Fils. Cette figure est aussi appelée l'Hermaphrodite dans le rituel. Autre personnage du rituel est le Pope / le Prêtre qui porte une poupée constituée de sept éléments. Tous les dons rituels sont effectués par le Roi. Il vient en général sur une charrette (char), symbolisant le Char du Soleil et pendant l'avancement du rituel cède sa place dans le char au Kouker Blanc.

Notons l'enduction du visage en noir avec de la suie du Kouker Blanc, ainsi que de ses poignées, effectuée par les doyens du rituel. L'enduction du visage fait partie de la Mort puis la Renaissance de Zagrée. Dans le mythe il correspond à l'épisode où les Titans enduisent leurs visages de plâtre afin que Zagrée ne les reconnaisse pas. Avant que le visage du Kouker Blanc ne soit pas peint en noir il ne peut pas commencer le tour du village avec sa troupe. La troupe du Kouker Blanc symbolise les Curètes.

Voilà sur quelles bases repose cette fête populaire et le rituel des Koukeri. Elle n'a pas grande chose à voir avec les jeux de mascarade pour attirer le touriste. Le jeux Koukeri les plus authentiques peuvent être observés dans la région de Strandja (région de Bourgas). Le mythe de Zagrée et ses répercussions dans le folklore bulgare actuel en tant que héritier des rituels orphiques thraces ont été étudiés en profondeur par le grand spécialiste de la civilisation thrace, le professeur Alexandar Fol. Le livre La culture thrace - dits et non-dits en est une excellente référence.

Les Masques des Koukéri

Les masques sont un réel plaisir à observer. Chaque masque est unique, fabriqué par son porteur. La plupart des masques représentent une construction en bois sur laquelle sont collés des morceaux de peaux de chèvre, de tissu, des morceaux de mirroirs. D'anciens masques representaient des animaux tels le taureau, le bélier, la chèvre. L'on pouvait aussi voir des hauts masques ornés de corbeaux empaillés, les ailes déployés. Certains masques ont 2 visages - un gentil et un méchant. Ils symbolisent la controverse dans la nature de l'homme. Les couleurs prédominant sont le rouge (le soleil, le feu, le renouveau), le blanc (l'eau, la lumière) et le noir (la terre).

Le rituel du chameau

Dans certaines villages, dans la nuit du Nouvel An, tient lieu un rituel Koukéri particulier appelé "Chameaux". Il s'agit ici d'une folklorisation avancée du rituel Koukeri décrit plus haut mais l'on retrouve encore des éléments du mythe de Zagrée.

Un "chameau" est fabriqué de 2 pièces de bois (saule pleurant) longues de 1 à 1,5m, reliées dans leur bout par 2 bâtons droits. D'autres branches fines permettent à tisser un squelette approximatif, recouverte ensuite avec de la bâche. La tête du "chameau" est recouverte de peau ou bien on se sert d'une fouine. Des cloches sont accrochées par devant et par derrière et le tout se couronne par l'ajout de la queue du "chameau". Le "chameau" ainsi fait est porté par un jeune homme, habillé comme le veut la tradition. Il doit être costaud pour pouvoir danser et aussi et vaincre éventuellement un autre "chameau", au hasard de la rencontre.

Chaque "chameau" à ses meneurs, qui font le tour des maisons. Ils sont masqués et portent un sabre en bois dans une main et une boule reliée sur une chaîne dans l'autre. Ils sursautent, se roulent par terre, aiguisent le sabre sur la boule, lancent des blagues. Ici nous avons un comportement caractéristique de Zagrée à la tête des Curètes. Tous ces mouvements ont leur symbolisme - pour que le blé soit grand et lourd, pour récupérer la force de la terre, etc. Il est impératif qu'ils ne soient pas reconnus par les autres villageois, sinon le rituel ne prendra pas.

A un moment donné le "chameau" se couche par terre. Le meneur commence alors à aiguiser son sabre et explique aux gens "Mon chameau vient de loin et ses pieds son abîmés, j'ai besoin d'argent pour les ferrer, autrement je dois lui trancher la tête". On amène alors un saucisson sec (en forme de fer à cheval) ainsi que de l'argent. Le meneur "ferre le chameau" en mettant la boule sur son pied et en tapant dessus avec le sabre. Mais le "chameau" ne se relève pas, il est tombé malade et il lui faut un médicament pour guérir. On apporte alors un bout de viande grillé. Le meneur frotte la tête et le corps de "l'animal" avec et le "chameau" se relève. Ce rituel symbolise la mort et la renaissance, l'hiver, en tant que fin d'un cycle et le printemps, en tant que Renouveau. Ici nous avons donc un rappel de l'épisode où les Titans déchiquettent Zagrée, qui avait pris la forme d'un taureau et goûtent sa chair mi-grillée. 

 

Les maisons sont visitées durant la nuit uniquement. Le matin, tout le monde se retrouve sur la place - kolédari, "chameaux", meneurs, villageois et s'entame la vraie fête - danses, luttes entre les "chameaux", chasse au villageois, scènes comiques, etc.